18 octobre - 20 décembre 2025
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Paris
76 rue de Turenne
75003 Paris France

Né dans les années 1960 à Saint-Étienne, ville minière et ouvrière, Jean-Michel Othoniel grandit face aux réalités de son environnement industriel. Il a aussi accès à la très belle collection du Musée d’art moderne de Saint-Étienne, la deuxième plus grande de France derrière celle du Centre Pompidou. À l’âge de dix ans, il croise le travail du minimaliste américain Robert Morris, une expérience qui le marque durablement. Il voit l’art comme un univers parallèle, accueille l’importance d’un côté espiègle, une philosophie qui a plus tard défini sa pratique artistique. Dans cette nouvelle exposition, les oeuvres s’inscrivent dans la lignée de celles montrées à la Collection Lambert à Avignon. Elles marquent le réel intérêt de l’artiste pour le minimalisme et l’abstraction et appuie l’idée que la beauté et la sensualité n’est en rien un manque de radicalité.

Vues de l'exposition de Jean-Michel Othoniel 'New Works' à la galerie Perrotin, Paris, 2025. Photo: Claire Dorn. ©Jean-Michel Othoniel/ADAGP, Paris, 2025. Courtesy of the artist and Perrotin

Dans les années 1980, il emménage à Paris pour étudier l’art, à une période qui transforme l’art occidental. Des mouvements tels que le minimalisme, l’art conceptuel, le Fluxus, l’Internationale situationniste, l’arte povera et le Land art, ainsi que les happenings et les performances artistiques qui les accompagnent redéfinissent alors les médiums artistiques, avec des installations multimédia désormais très courantes dans l’art contemporain. Malgré l’expansion de l’expression artistique, la crise du sida fait souffler un vent de souffrance et de deuil insoutenable sur la communauté gay, ce qui affecte profondément la vision du monde de Jean-Michel Othoniel. Ses premières oeuvres sont inspirées par le désespoir.


En 1917, Paul Klee, qui écrivait en plein milieu des horreurs de la Première Guerre mondiale, observait : « plus le monde devient effrayant (tel qu’il l’est aujourd’hui), plus l’art se fait abstrait, tandis qu’un monde heureux fait s’épanouir un art réaliste ».


Les mots de Klee éclairent le sujet de la grille dans la peinture moderniste, un motif qui incarne le confinement. Des grilles, monotones et implacables, rappellent les parois impitoyables des cellules de prison. Elles sont à la fois complètement nouvelles et sans cesse répétées, n’offrant aucune possibilité de résistance, d’échappatoire ou d’alternative. Et pourtant, c’est paradoxalement dans ce sentiment d’impuissance absolue que la grille devient un passage. Elle fait du corps une partie intégrante du chemin lui-même. Cette dualité entre confinement et passage est la clé d’entrée dans le travail de l’artiste, qui est profondément façonné par son expérience personnelle et les contextes culturels avec lesquels il interagit. Comment la grille se fait-elle passage ? De la même manière qu’un mur.

Tout au long de sa carrière, Jean-Michel Othoniel a créé de nombreux murs et chemins qui permettent de dissoudre les frontières. Avant son Precious Stonewall brillant et songeur, composé de briques de verre, il y avait eu The Wishing Wall, un mur dans une galerie, enduit de phosphore sur lequel les visiteurs pouvaient craquer une allumette. La notion de passage prend forme à la fois littéralement et physiquement dans ses oeuvres, que ce soit dans une petite photographie de 1986 (Autoportrait en robe de prêtre), qui montre un personnage rappelant une poupée traversant le déversoir gelé d’un barrage, dans ses grandes installations publiques comme Le Kiosque des noctambules, son interprétation d’une bouche de métro parisien, ou bien Le Bateau de larmes, un navire construit et utilisé par des réfugiés cubains. Ses perles de verre monumentales, développées au fil des ans, sont aussi des passages, des chemins mentaux, comme le soulignait explicitement le titre de son exposition au Centre Pompidou en 2011, My Way. (Cette rétrospective qui a eu lieu au milieu de sa carrière s’est exportée aussi en Asie et en Amérique, faisant découvrir à de nouveaux publics ses perles et briques emblématiques en verre de Murano.)

Lorsque la brique de verre est apparue pour la première fois, elle était entourée d’un filet de colliers de perles de verre dans Precious Stonewall (2010), suggérant une superposition de leurs significations. Murs et perles peuvent d’abord sembler être des opposés – réel contre imaginaire, solide contre vide, concret contre abstrait, substantiel contre éphémère – mais dans un sens plus profond, ils deviennent interchangeables, se situant quelque part entre des éléments de construction et des pixels.

L’idée de briques de verre a émergé lors des voyages de Jean-Michel Othoniel en Inde. S’il s’y est d’abord rendu pour travailler avec des verriers, le contexte culturel n’est jamais resté accessoire : il est devenu partie intégrante de son travail. En Inde, l’artiste a observé des piles de briques entassées le long des routes et y a vu l’image des espoirs et des rêves de la population. Il en a tiré et distillé une forme universelle qu’il a plus tard nommée « géométrie amoureuse », afin de placer sa source d’inspiration, les gens, sur le devant de la scène.

On note une ressemblance superficielle entre un mur de briques et les modèles canoniques de la peinture moderne. Le motif du mur de briques, qui apparaît dans la période cartoon de Philip Guston, a pu être envisagé comme une forme de parodie. Deux décennies plus tard, dans la toile intitulée Sharp & Dottiedu street artist new-yorkais Martin Wong, le mur de briques prend un autre sens. Sa peinture montre un couple enlacé au premier plan, en bas de la composition, tandis que derrière eux, un mur de briques brutes soigneusement peint et éclairé par la lune occupe 90 % de l’espace. Ce mur de briques représente clairement les espoirs et les rêves des protagonistes. Si le genre est strictement réaliste, l’oeuvre de Wong trouve finalement une vraie connexion avec les grilles de Paul Klee.


Cette toile a été peinte en 1984 à New York, à l’époque de Keith Haring, Spike Lee, Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons, Robert Mapplethorpe et Jim Jarmusch, et à celle de l’émergence de la culture hip-hop et du mouvement pour les droits LGBTQ. C’est de tout cela que Jean-Michel Othoniel a fait l’expérience en tant que jeune artiste venu d’Europe.

Son amour du voyage, inspiré par la diversité de New York, a façonné son approche créative décentralisée. Il a aussi été très influencé par l’exposition fondatrice Les Magiciens de la Terre1, qui lui a fait découvrir la puissance poétique de l’art issu de diverses cultures. La poésie est aussi devenue une force visuelle dans son oeuvre, faisant fondre la solidité de la réalité. Les murs sont érigés pour diviser et contenir, comme cela a été le cas à Berlin, mais peuvent aussi devenir des lieux et des symboles de rassemblement, de prière et de manifestation, comme le Mur des lamentations, le Mur de la démocratie de Xidan, ou le mouvement de Stonewall.



1- Organisée par Jean-Hubert Martin et installée en 1989 dans deux sites parisiens, le Centre Pompidou et la Grande halle de la Villette, cette exposition internationale a rassemblé une centaine d›artistes contemporains, la moitié issue de l’Occident et l’autre de pays non occidentaux.

Si l’on examine la portée significative des murs dans les différentes cultures, il n’est pas surprenant de constater que la grille est un sujet récurrent dans l’art moderne, attirant des artistes qui consacrent leur carrière entière à sa forme qui semble rigide et répétitive. Un mur représente à la fois une fin et un début, un seuil où cesse l’effort physique et où commence l’hallucination, se transformant en écran pour des projections collectives.

Les structures en briques de verre de Jean-Michel Othoniel empêchent l’oeil et donc l’esprit de faire le point en les forçant à regarder longtemps. Cet état de suspension visuelle éveille le spectateur à la conscience de la puissance générative de la perception sensorielle humaine. Tandis que l’oeil détricote ce qu’il perçoit et procède à des associations libres, nous voyons l’objet concret se dématérialiser pour devenir lumière et couleur pures. Ainsi, la présence physique elle-même des briques de verre les fait se dissoudre ; leur surface d’abord rigide s’effrite et révèle un tunnel forgé par l’organe sensoriel de la personne qui les observe.



Extrait du catalogue de l'exposition The Enchantment au Long Museum, Shanghai. 2025.


ZHOU YI

Conservateur et co-fondateur de l’espace C5CNM de la CLC Gallery Venture, à Beijing

Jean-Michel OTHONIEL

Né en 1964 à Saint-Étienne, France
Habite et travaille à Paris, France

Jean-Michel Othoniel’s enchanting aesthetics revolves around the notion of emotional geometry. Through the repetition of modular elements such as bricks or his signature beads, he creates exquisite jewelry-like sculptures whose relationship to the human scale ranges from intimacy to monumentality. His predilection for materials with reversible and often reflective properties—particularly blown glass, which has been the hallmark of his practice since the early 1990s—relates to the deeply equivocal nature of his art. Monumental yet delicate, baroque yet minimal, poetic yet political, his contemplative forms, like oxymorons, have the power to reconcile opposites. While his dedication to site-specific commissions for public spaces has led some of his work to take an architectural and social turn, Othoniel’s holistic sensibility compares to fêng shui, or the art of harmonizing people with their environment, allowing viewers to inhabit his world through reflection and motion.



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