15 octobre - 17 décembre 2022
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Paris

10 Impasse Saint-Claude

75003 Paris

Perrotin Paris a le plaisir de présenter In Broad Daylight, la première exposition de Tavares Strachan avec la galerie. In Broad Daylight est le second volet d’une trilogie d’expositions lancée à New York avec The Awakening au printemps dernier. Elle est présentée parallèlement à In Total Darkness, troisième et dernier volet, qui se tient à la Marian Goodman Gallery à Paris.

Vue de l'exposition 'In Broad Daylight' de Tavares Strachan à la galerie Perrotin. Photo: Claire Dorn. Courtesy of the artist and Perrotin.
Vue de l'exposition 'In Broad Daylight' de Tavares Strachan à la galerie Perrotin. Photo: Claire Dorn. Courtesy of the artist and Perrotin.
Vue de l'exposition 'In Broad Daylight' de Tavares Strachan à la galerie Perrotin. Photo: Claire Dorn. Courtesy of the artist and Perrotin.

L’expression « In broad daylight » (En plein jour) s’adresse à l’impudence d’un outrage commis. La perpétration d’un acte criminel au su et au vu du monde entier génère souvent une sidération et une incrédulité tenaces. Le titre de l’exposition reflète la propension de Tavares Strachan à jouer sur les doubles sens: l’artiste livre une interprétation toute personnelle de la formule, qui fait ici référence au fait de révéler des vérités fondamentales. Il explore ainsi cette dualité à travers une nouvelle série de sculptures réalisées autour du motif de la Vierge à l’Enfant.

« L’un des tours de force des récits religieux au cours de l’histoire a été de fusionner le beau et le tragique. J’essaie de faire de même dans cette série de sculptures. »

— Tavares Strachan.

Chacune des figures maternelles de Strachan, représentée sous les traits d’une Madone noire, soutient le corps de son fils violemment réduit au silence. Les postures sont poignantes et suggèrent, par la gestuelle, différentes manières d’appréhender le choc de la perte d’un enfant. Elles incarnent les genres de la persévérance et du courage face à la triste, mais probable, éventualité qu’une autre mère noire soit elle aussi appelée à assumer une responsabilité similaire : celle d’exprimer et de négocier la colère citoyenne, tout en affrontant un drame personnel. Alice Nokuzola « Mamcethe » Biko se tient debout avec une grâce toute poétique, déterminée à maintenir le plus droit possible le corps affaissé de son fils, Bantu Stephen Biko. Kadiatou Diallo, la mère d’Amadou Diallo, est assise, confiante et digne, son fils semble se reposer sur ses genoux. Le triptyque de sculptures en marbre de Carrare – le même que celui utilisé par Michel-Ange – est parachevé par Louise Little. La mère de Malcolm X pose, méditative et dévouée, le regard légèrement baissé et les paumes des mains tournées vers le ciel, avec son fils étendu sur ses jambes.


Contrairement aux formes sculpturales héroïques habituelles, qui représentent un sujet éminent (souvent un homme européen) en action ou à la tête d’une situation, les œuvres de Strachan tendent doublement vers une direction opposée: d’une part, vers des figures masculines noires entretenant une relation complexe avec l’événement héroïque (sans statut militaire ni politique) ; d’autre part, vers les femmes noires qui leur ont donné naissance et qui continuent de porter l’héritage tragique de leur vie.

Encyclopedia of Invisibility, 2018 Published by Isolated Labs, Inc. Dark blue goat skin leather, frontier opaque paper, 2,400 pages

Les Madones noires de Strachan revêtent une dimension religieuse et font indubitablement écho à la Pieta de Michel-Ange. À l’image de cette œuvre emblématique, elles doivent être interprétées comme des monuments funéraires et font allusion, tant sur le plan formel que thématique, à Marie tenant le cadavre de Jésus. Dans un contexte où les origines africaines de la Madone noire nécessitent une exploration plus approfondie et où le rôle de cette « figure féminine spirituelle de premier plan est sous-estimé », le travail de Strachan, ainsi que celui d’autres artistes contemporains qui explorent ce phénomène, adopte une perspective élargie plutôt que de se focaliser sur une femme particulièrement exceptionnelle ou un cas symbolique (1). En effet, le triptyque suggère le potentiel tragique d’une liste de victimes bien plus longue, notamment à la lumière d’une autre œuvre de l’artiste: The Encyclopedia of Invisibility. Amorcé au début des années 2010, ce projet vise à renforcer l’importance des personnes et des histoires minorisées en les regroupant de façon rigoureuse sous une forme remarquable, qui souligne leur valeur collective.

Ce projet est également une ode à la démesure. Les sculptures, plus grandes que nature, témoignent de l’intérêt permanent de l’artiste pour le céleste et l’immensité de l’existence, pour tout ce qui s’étend au-delà de notre perception et de nos connaissances. À 12 ans, Strachan a commencé à s’intéresser à la religion et a entrepris de visiter diverses églises aux Bahamas. En 2008, l’artiste a fondé le Bahamas Aerospace and Sea Exploration Center (B.A.S.E.C.), qui a été remarqué pour son approche à la croisée de l’art et de la science, mais qui revêt aussi une dimension spirituelle. Compte tenu de la thématique de In Broad Daylight, il n’est pas surprenant de constater que le B.A.S.E.C. comporte une composante sociale, inspirée de l’expertise de couturière d’Ella Strachan, la mère de l’artiste. À travers B.A.S.E.C. et In Broad Daylight, Strachan tente de répondre à l’une des questions qui résonnent depuis 50 ans au sujet de l’esprit et de la créativité de la mère noire et minorisée.

Cette question a été soulevée par Alice Walker dans son essai révolutionnaire de 1972, In Search of Our Mothers’ Gardens. L’autrice écrivait alors : « Qu’est-ce que cela signifiait pour une femme noire d’être artiste à l’époque de nos grands-mères? À l’époque de nos arrière-grands-mères ? La cruauté de la réponse est à glacer le sang. » (2) Tavares Strachan collabore avec sa mère et s’attache à présenter des versions héroïques non seulement de Malcolm X, Stephen Biko et Amadou Diallo, mais aussi de leurs propres génitrices. Cette volonté d’ériger des monuments à la gloire de ces femmes, au même titre qu’à celle de leurs fils célèbres, pourrait être interprétée comme une réponse à la question de Walker par un artiste noir, qui, conscient de la façon dont son sens de la créativité et celui de sa mère s’entremêlent, s’attache à lui faire honneur. «Je suis le miroir de la poésie secrète de ma mère autant que de ses colères cachées », écrit la poétesse Audre Lorde. (3) In Broad Daylight exige du public qu’il considère la vie de ces hommes à travers l’agentivité (créative, intellectuelle, émotionnelle, tactique) silencieuse, mais puissante, de leurs mères. Des femmes noires ordinaires, qui ont dû gérer la colère et les non-dits générés par les barrières sociétales ayant prédéterminé leur position au fil de l’Histoire.

Le postulat de la Madone noire au sein de cette exposition évoque l’universalité du lien mère/enfant, tout en appelant une interprétation séculaire axée sur la question raciale et sociale. Il incarne, certes, la dimension religieuse du sentiment maternel, mais aussi certains aspects de la vie civile, qui font trop souvent partie de ce que l’universitaire Abdul Alkalimat appelle « l’expérientiel Noir ». En réalité, « on a recensé plus de cinq cents statues et peintures de la Madone noire à travers le monde ». (4) Le travail de Tavares Strachan, dont les sculptures renforcent cette représentation, met en relief la banalité de cette dynamique: la mère noire récupérant le corps de son enfant après une mort publique et indiscutablement violente. Les monuments que l’artiste leur consacre manifestent le poids de ce thème récurrent. Strachan souligne la nécessité de donner à voir la mère noire, en situant et en soulignant son agentivité avec force et audace, en plein jour.

— Romi Crawford

1. Michello, Janet. The Black Madonna: A Theoretical Framework for the African Origins of Other World Religious Beliefs. Religions 11, no10 (10 octobre 2020): 511, p. 8. https://doi.org/10.3390/rel11100511

2. Mitchell, Angelyn, éd. Within the Circle: An Anthology of African American Literary Criticism from the Harlem Renaissance to the Present. (Durham: Duke University Press, 1994), p. 402 (en anglais).

3. N.d.t. : traduction tirée de Lorde, Audre. Zami : Une nouvelle façon d’écrire mon nom. (Editions Trois, 2002).

4. Michello, Janet. The Black Madonna: A Theoretical Framework for the African Origins of Other World Religious Beliefs. Religions 11, no 10 (10 octobre 2020): 511, p. 10. https://doi.org/10.3390/rel11100511 (en anglais).

Tavares STRACHAN

Né en 1979 à Nassau, Bahamas
Habite et travaille entre New York, USA et Nassau, Bahamas


Né en 1979 à Nassau, aux Bahamas, Tavares Strachan est titulaire d’un BFA spécialité Verre (2003) de la Rhode Island School of Design et d’un MFA spécialité Sculpture (2006) de l’Université de Yale. Il partage son temps entre New York, où est basé son atelier, et Nassau, où il a fondé le studio artistique et la plateforme de recherche scientifique B.A.S.E.C. (Bahamas Aerospace and Sea Exploration Center). C’est également à Nassau qu’il a lancé OKU, un projet communautaire à but non lucratif comprenant une résidence d’artiste et des espaces d’exposition, un programme de bourses d’études et des programmes créatifs périscolaires.


Strachan a bénéficié d’une bourse du Getty Research Institute en tant qu’artiste en résidence (2019-2020). Il a également été artiste en résidence inaugural de l’Allen Institute (2018) et artiste en résidence du MIT (2009-2010). Il est lauréat de la bourse LACMA Art + Technology Lab (2014). Le Frontier Art Prize lui a été décerné en 2018 et en 2022 il est récompensé du MacArthur Fellowship.


Il a été chargé de créer des œuvres d’art public monumentales adaptées aux différents sites pour des institutions et des emplacements extérieurs à travers les États-Unis, notamment le Baltimore Museum of Art, le Barclays Center à New York, le Carnegie Museum of Art à Pittsburgh, en Pennsylvanie, la vallée de Coachella en Californie et le fleuve Mississippi.


Ses travaux ont fait l’objet d’expositions individuelles, notamment Polar Eclipse, au 1er pavillon national des Bahamas lors de la 55e Biennale deVenise (2013), Italie; You Can Do Whatever You Like (The OrthostaticTolerance Project) (2009) à l’Institute of Contemporary Art in Philadelphia, Pennsylvanie, États-Unis; Orthostatic Tolerance: It Might Not BeSuch a Bad Idea if I Never Went Home Again(2010) au MIT List Visual Art Center de Cambridge, Massachusetts, États-Unis; et Always, Sometimes, Never(2018) au Frye Art Museum de Seattle, États-Unis.


Les œuvres de Strachan ont été présentées dans le cadre d’expositions collectives institutionnelles, notamment Meanwhile... Suddenly, AndThen, à la 12e Biennale de Lyon (2013) en France; May You Live in Interesting Times, à la 58e Biennale de Venise (2019) en Italie; Soft Power:A Conversation for the Future (2019) au San Francisco Museum of Modern Art, États-Unis; The Willfulness of Objects (2020) à The Bass, Miami, États-Unis; Feeling the Stones, à la 1ère Diriyah Biennale d’art contemporain (2021) à Riyadh, Arabie Saoudite; et Flesh and Bones:The Art of Anatomy (2022) au Getty Center, Los Angeles, États-Unis.



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