14 octobre - 18 novembre 2023
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Paris
76 rue de Turenne
75003 Paris France

Après 20 ans de collaboration avec la galerie, le duo d’artistes Elmgreen & Dragset dévoile une nouvelle exposition personnelle rassemblant sept sculptures, ou groupes sculptés, qui donnent à voir divers scenarios. Cette exposition est la dixième avec la galerie.

Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin
Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin
Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin
Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin
Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin

Sans transition, le nez collé à l’écran de votre smartphone, vous venez de pénétrer dans l’espace de la galerie. Certainement ne vous êtes-vous rendus compte de rien : votre esprit était ailleurs, dans les limbes d’une alter-réalité à la fois physique et virtuelle. Normal : notre accès au réel est filtré par les outils technologiques et l’expérience de l’art elle-même a évolué. L’interactivité a succédé à la contemplation, le partage en réseau remplacé l’absorption. Alors, chacun se met en scène en train de faire l’expérience de l’art, que ce soit avec un #artselfie ou via un challenge pour #arttok. Plus profondément, notre accès au réel lui-même s’est transformé. L’expérience est rarement directe ; elle transite par le partage d’images, sons et textes, localisés au creux de la paume, tenus au bout du doigt. C’est la génération Petite Poucette, c’est vous et c’est moi. Alors, toute une chorégraphie collective s’enclenche.

Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin

La nouvelle exposition d’Elmgreen & Dragset à la galerie Perrotin à Paris se compose de sept sculptures qui, ensemble, déclinent autant de situations potentielles extraites de cette chorégraphie-là. Faisant face à l’entrée, un premier personnage occupe seul l’espace. Un casque sur les oreilles, il a le regard absent, attire le nôtre sans cependant le renvoyer (David, 2023). Le jeune homme est assis à même le sol, ou plutôt, à même un sol : la reproduction de celui, en béton, de la galerie. Le segment rectangulaire est accroché au mur à la manière d’un tableau en même temps qu’il devient le socle de la sculpture, une figure à taille humaine qui fournit la première rencontre avec une situation d’absorption technologique.

Elmgreen&Dragset, ’Try (Overgaden Kopenhagen)’, 1997. Rugs, stereo, walkman, headphones, fridge, beer, three performers. ©ELMGREEN/DRAGSET/Paris, 1997. Courtesy of the artists and Perrotin

Si le duo d’artistes scandinaves basés à Berlin étend le répertoire de la représentation à la vie appareillée et à ses états affectifs, on y lit également combien leurs préoccupations persistent à travers les époques et médiums. En 1996, la performance TRY, l’une de leurs toutes premières oeuvres, invitait trois jeunes hommes mutiques à investir un espace d’exposition. Eux-aussi, impénétrables, écoutaient de la musique dans leur walkman, laissant le spectateur deviner – en vain – quelque chose de leur identité, indéchiffrable par les seuls signes de distinction stylistiques.

Si le style dit peu de l’identité, les attitudes révèlent beaucoup de l’état du contrat social. Dans le second espace de la galerie, un groupe composé de deux figures, pareillement rendues en bronze laqué en blanc, montre l’acmé d’un drame ordinaire. À terre, un deux-roues gît renversé, son conducteur casqué debout non loin (Delivery, 2023). Le coffre cubique permet d’identifier une livraison de nourriture qui aurait mal tourné.

Mais ce qui complète la scène, et l’inclut à la typologie de formes indicatives d’une décennie, se joue plus loin. Perché sur un balcon surélevé, un second personnage observe l’accident : un photographe capte la scène par l’obturateur de son appareil (The Examiner, 2023), préférant réaliser des images plutôt qu’intervenir.

Voyeurisme pur ou Insta-activisme ? Quelque chose de la satire sociale caractéristique d’Elmgreen & Dragset s’y trouve condensé – le Groupe du Laocoon, version ubérisation de la société.

Il est fort à parier que vous prendrez à votre tour une photographie, toute possibilité d’activisme performatif étant en revanche éliminée pour de bon. Cette triangulation parachève la démonstration et introduit en sous-texte un commentaire sur l’impuissance de l’art à intervenir réellement, c’est-à-dire en aidant qui que ce soit à se relever.

Reste que le duo croit à l’art et à sa capacité de changement. S’il intervient, c’est de manière symbolique : en proposant des expériences de déconditionnement, pour tenter de lever le voile sur les conventions solidifiées en structures de pouvoir. Le troisième groupe sculpté (This Is How We Play Together, Figures 2, 3 et 4, 2023), précisément, est le plus futuriste dans son référent en même temps qu’il est le plus atemporel par sa portée philosophique.

Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin

Pour y accéder, il faut pénétrer au sein d’une structure circulaire dont l’intérieur est tapissé de miroirs. Là, trois enfants, deux debout et un assis, esquissent un ensemble de gestes étranges. Perplexes, précautionneux, ils tendent les mains, tâtent le vide. Leur équilibre est précaire, leurs poses antinaturelles. Comme tous les autres personnages de l’exposition, un objet technologique leur couvre l’un des sens : en l’occurrence, ils ont sur les yeux un casque de réalité virtuelle. L’absorption est à son comble, l’absence au réel également. Eux, ils voient, découvrent un univers virtuel aux couleurs chatoyantes. Nous, nous les observons, sans apercevoir ce qui les captive. Ces représentants d’un futur proche partagent avec nous le même espace physique sans qu’il soit possible d’établir le contact. L’allégorie de la caverne de Platon, vous y êtes, en immersion et aux premières loges.

Il faudrait, enfin, revenir en arrière. Veiller à ce que nous tendons précisément à omettre à l’ère de l’économie de l’attention 4. Il s’agit de l’oeuvre à la présence la plus ténue, fragile comme l’est la vie nue (Still Life, 2023). Celle qui tout simplement se tient là, sans n’être augmentée ni appareillée. Faisant saillie de l’un des murs, deux mains d’enfant enserrent un oiseau : un moineau. Par son coloris et la texture de son plumage, son rendu est aussi vrai que nature. Sa technique, en effet, est celle des créatures robotisées – ou animatroniques – de l’industrie du cinéma. Ici, la potentialité technologique est employée à rebours, et l’effet obtenu résolument anti-spectaculaire. La chétive créature est blessée et palpite faiblement, agitée d’une respiration haletante.


L’oeuvre, placée en point d’orgue au parcours, nuance et complète le panorama d’ensemble. Les groupes sculptés des salles précédentes représentent la technologie en l’inscrivant au répertoire de la statuaire classique, tandis que l’oiseau oblitère précisément son mécanisme ultraperfectionné en mimant le naturel. Reste, distillé à travers l’ensemble de ces oeuvres, quelque chose comme le substrat de la pratique d’Elmgreen & Dragset : l’observation interactionnelle de la condition humaine contemporaine. Celle-ci est modelée par les dispositifs de pouvoir, de savoir, et maintenant de technique ; dispositifs totalisants et pourtant éminemment arbitraires, prêts à vaciller au plus petit battement d’ailes, au moindre glitch.

Vue de l'exposition d'Elmgreen&Dragset 'David and other sculptures' à la galerie Perrotin, Paris, 2023. Photo: Claire Dorn. ©ELMGREEN&DRAGSTET/ADAGP, Paris, 2023. Courtesy of the artists and Perrotin
ELMGREEN & DRAGSET

Michael Elmgreen (né à Copenhague, au Danemark) et Ingar Dragset (né à Trondheim, en Norvège) travaillent ensemble depuis 1995. Le duo vit et travaille à Berlin, en Allemagne.

Depuis 1995, Michael Elmgreen & Ingar Dragset travaillent ensemble aux confins de l’art et de l’architecture, de la performance et de l’installation. Préoccupés par les objets et leur environnement, ainsi que par le discours qui peut naître lorsque ces objets sont radicalement recontextualisés, Elmgreen & Dragset repoussent les modes classiques d’exposition de l’art. Qu’il s’agisse de sculptures ou d’environnements immersifs, leur travail attire l’attention sur les institutions qui les accueillent et leurs politiques. La performativité et la participation sous-tendent le travail d’Elmgreen & Dragset, qui appelle autant qu’il refuse la participation (les piscines sont vidées, les plongeoirs sont orientés à la verticale, les bars sont inaccessibles, les éviers ne fonctionnent pas). Les objets du quotidien sont débarrassés de leur utilité et considérés comme des phénomènes sculpturaux, ils revêtent une esthétique minimaliste qui remet en cause la force stérilisante du white cube. De la même façon, les sculptures publiques d’Elmgreen & Dragset recontextualisent l’environnement dans lequel elles se situent ; c’est par exemple le cas de Van Gogh’s Ear au Rockefeller Plaza de New York, ou Prada Marfa le long de la route 90, au milieu du désert texan.




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